Du président: février 2022

English     Español     中文


Les vaccins liés à la pandémie sont disponibles depuis un an, mais la couverture vaccinale reste insuffisante. Une distribution mondiale inéquitable en est incontestablement la cause principale ; sans hésiter, beaucoup d'entre nous s'expriment pour que cela change. Cependant, la tendance croissante dans certaines régions à l'hésitation, voire au rejet du vaccin, complique les choses. Ces deux phénomènes sont liés à une augmentation des divisions et des accusations, ce qui a pour effet de creuser le fossé entre ceux qui suivent les conseils médicaux "rationnels" et ceux qui ne les suivent pas. Comment devons-nous faire face à ce phénomène d'un point de vue professionnel ? Comment le comprendre ?  

Les soins de santé sont un droit de l'Homme. Tout comme le droit de faire ses propres choix en matière de soins de santé. À ce stade de la pandémie, les professionnels de la santé sont unanimes : la vaccination est l'outil le plus puissant dont nous disposons pour contrôler la propagation du virus, ses conséquences négatives pour les individus et son impact sur la santé publique et les sociétés dans leur ensemble.

Les médecins généralistes sont des défenseurs d'une meilleure connaissance de la santé. En tant que premiers intervenants, nous rencontrons les gens là où ils vivent, dans leur contexte, partageant nos connaissances médicales et nos perspectives historiques pour aider nos patients à prendre de bonnes décisions en matière de santé. Les connaissances que nous continuons à accumuler grâce aux références scientifiques de la médecine fondée sur les preuves (Evidence Based Medicine ou EBM) nous permettent d'offrir à nos patients des conseils "rationnels" au sens strict, c'est-à-dire biomédical. Dans ce processus, chaque médecin généraliste fait office d'interprète, "traduisant" les preuves validées en messages clairs et convaincants : "La meilleure action que vous puissiez entreprendre pour améliorer votre santé est d'arrêter de fumer." "Évitez de donner à vos jeunes enfants des boissons gazeuses tous les jours, et vous contribuerez à prévenir les caries et l'obésité et à réduire leur risque de développer un diabète plus tard dans la vie."

Cependant, quelle que soit la confiance profonde que nous, médecins, accordons aux idéaux de l'EBM, si nous voulons que les conseils que nous considérons comme "rationnels" soient utiles, chaque patient doit les vivre comme des conseils constructifs et pertinents. Cela nous oblige à nous préparer à être des interprètes à un autre niveau : Si nous voulons adapter la manière dont nous communiquons nos conseils afin qu'ils influencent réellement le processus de décision de nos patients, nous devons d'abord chercher à comprendre leur culture, leurs croyances, leurs émotions et leurs valeurs - leur contexte. Par conséquent, les relations que nous entretenons avec nos patients et les niveaux de confiance que nous établissons sont essentiels pour " traduire " le potentiel de notre discipline en actions.

Bien que les raisons invoquées pour expliquer l'hésitation à se faire vacciner varient, j'imagine qu'elle découle d'un manque de confiance croissant qui, à son tour, intensifie le sentiment grandissant que l'autonomie de chacun est menacée. Il y a quelques années encore, la prise de décision médicale pouvait être caricaturée comme impliquant un médecin, dont le travail consistait à acquérir et à dispenser des connaissances, et un patient, dont le travail consistait à recevoir et à suivre les ordres du médecin. Beaucoup de choses ont changé. En particulier, l'arrivée d'Internet a permis aux patients d'accéder à davantage d'informations médicales - même si elles ne sont pas toujours fiables. Désormais, le cyberespace est souvent présent dans le cabinet de consultation, comme si une tierce personne virtuelle s'y était jointe. Dans cet environnement virtualisé, les connaissances et les preuves se fracassent sur la culture et les croyances à une vitesse fulgurante. Ce que nous considérons comme des connaissances médicales peuvent soudainement être détournées, exploitées pour des enjeux politiques ou transformées en marqueurs d'identité.

Nous avons tous l'expérience de patients qui ne suivent pas nos conseils, et nous pouvons souvent expliquer pourquoi ils ne le font pas. Mais lorsque les conséquences potentielles du non-respect de nos conseils sont de nuire à la collectivité, à "nous", c'est-à-dire aussi aux médecins, et lorsque ces conséquences peuvent augmenter le risque de décès, non seulement du patient en question mais aussi d'innombrables autres personnes, notamment des enfants et des personnes âgées, beaucoup d'entre nous atteignent un niveau de frustration difficile à gérer. 

Nos réactions spontanées peuvent nous donner l'impression d'être pris au piège sans savoir comment réagir. Une confiance dogmatique dans les connaissances médicales pourrait-elle nous conduire à des abus de pouvoir, à une demande paternaliste : "Faites ce que je vous dis de faire parce que je sais ce qui est le mieux pour vous" ? Ou, à l'autre extrême, notre engagement à respecter et à protéger la liberté et le libre choix de nos patients pourrait-il nous conduire à un laisser-aller négligent : "Vous insistez sur le fait que vous savez ce qui est le mieux pour vous, alors faites ce que vous voulez" ? Lorsque nous nous taisons alors que des informations cruciales sont étouffées ou que nous ne nous exprimons pas sur l'irresponsabilité apparemment insensible des anti-vax, pouvons-nous nous accuser - à juste titre ou non - de lâcheté morale ? Notre silence pourrait-il refléter nos peurs, peut-être de la confrontation, de la perte du regard positif des autres, de la constatation que nous pouvons aussi nourrir des impulsions tyranniques ?

Nous devons trouver des moyens de vivre avec ces dilemmes. Nous pourrions nous poser, à nous-mêmes et entre nous, des questions professionnelles aussi importantes que celles-ci : Comment pouvons-nous continuer à fournir des soins médicaux conformément à nos valeurs professionnelles fondamentales, ainsi qu'à notre célèbre "Primum non nocere" ? Comment pouvons-nous maintenir notre empathie envers les personnes qui n'acceptent pas nos conseils, même si nous percevons les conséquences potentiellement fatales que cela entraînent ?

La première étape consiste à mettre ces questions à l'ordre du jour pour qu'elles fassent l'objet d'une réflexion, d'une discussion et d'un débat, avec les membres du public, certes, mais avant cela, avec nos collègues des Soins Primaires.

Dr Anna Stavdal, 
WONCA Président


Traduit de l’anglais par Dr Julien Artigny